Sots Art : un pop art soviétque?

Publié le par Marine 237611

Sots Art, art politique en Russie à partir de 1972.

Exposition du 21 octobre 2007 au 20 janvier 2008.

A la Maison Rouge

10 boulevard de la bastille

75012 Paris

Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 19h

(nocturne le jeudi jusqu’à 21h.)

 

L’exposition Sots Art rassemble, autour d’un parcours chronologique, les œuvres datées de 1972 à nos jours, issues du premier mouvement artistique russe émergent par son caractère novateur depuis les avant-gardes des années 1920, tandis que le régime politique ou dictature communiste imposait le réalisme socialiste pour style officiel.

Ce mouvement est née d’une soirée chez Vitaly Komar et Alexandre Melamid, où clandestinement, fut organisée une exposition, qui donna son origine à l’art " Sots ". On dénomma ainsi les œuvres s’inscrivant dans ce mouvement par analogie avec le Pop Art, à partir des mots art et socialisme. Existerait-il alors un pop art communiste ? Sous des termes paraissant, a priori, antithétiques, pourrait-on leur découvrir un point de convergence ? Quand le Pop Art fait référence à populaire ainsi qu’à l’imagerie du consumérisme américain, le Sots Art renvoie, pour sa part, au socialisme et à la propagande soviétique qui lui est liée. On serait donc bien face à un Pop Art version rouge. En dehors du fait que le pop art soit devenu international tandis que le sots art soit demeuré exclusivement russe, nous tâcherons de définir comment ces deux mouvements parviennent néanmoins à des fins contraires bien qu’usant d’un même vocabulaire.

Pour ces artistes sots, il s’agit de se réapproprier l’attirail idéologique soviétique et de le déplacer en dehors de son contexte premier. On a alors à faire à des œuvres devenues grinçantes ; dérision, grotesque, ridicule, naissent de cet emploi décalé. En détournant l’imagerie communiste, ils effectuent également le détournement d’un monde idéal en général. En effet, la réappropriation des emblèmes et icônes a bien lieu en vue d’une désacralisation. Opère alors un synchrétisme, qui réussit à mélanger les registres et les codes. Mais, sous l’apparence du comique et/ou du grotesque, est développée une attaque virulente d’un contexte social, laissant ainsi transparaître opinion et engagement politique. Cela résulte du principe selon lequel l’art doit être le reflet de la société et la toile le miroir du monde auquel on appartient, d’un mode de vie… Ici l’on peut apercevoir le lien qui unit régime politique, histoire et production artistique, comme en témoigne par exemple le portrait de Louis XIV réalisé par Hyacinthe Rigaud, ou les œuvres de Charles Lebrun, ou encore le discours prononcé par Jules Ferry selon lequel l’art doit glorifier la république et faire connaître sa grandeur, asseoir ses valeurs… Longtemps, les œuvres se distinguaient selon la hiérarchie des genres théorisée par Félibien, accordant à la peinture d’histoire (et de mythologie) " l’histoire avec sa grande hâche " comme dirait Georges Perec, un caractère majeur, plus de noblesse.

Le sots art récupère le vocabulaire de la propagande soviétique, ses codes visuels pour obtenir la caricature, parvenir à la satire, à l’ironie, par la dissidence, le refus du conformisme et la dénonciation. Ainsi La rencontre de deux sculptures de Leonid Sokov présente Lénine observant l’homme qui marche de Giacometti, criant l’opposition entre l’art officiel académique et l’art moderniste dans un temps donné. De même, Gloire au PCUS d’Erik Boulatov, montre un ciel bleu sur lequel des mots écrits en majuscule rouge s’ajoutent, barrant alors l’horizon, niant toute possibilité de perspective et de fuite. La série de photographies intitulée Super objets de super confort pour super gens de Komar et Melamid nous donne à voir le ridicule de l’homme moderne, pris dans sa seule fonctionnalité, réduit à la productivité qu’autorise son corps, étudié d’après son efficacité. L’être humain est perçu, non comme un être sensible ou doué d’intelligence comme dirait Descartes, mais comme un homme dépourvu de toute réflexion et même d’âme.

Mais alors, sous la rigidité de ces codes visuels se cacherait-il un langage expressionniste ? Effectivement, les rencontres incongrues génèrent une efficacité visuelle. Par la dualité ou l’association des symboles culturels et idéologiques antagonistes, des stéréotypes de la culture de masse américaine et soviétique, on fait tomber de l’estrade les valeurs que les institutions politiques y avaient fait monter. Les artistes expriment donc bien ce qu’ils ressentent à l’égard de ce système. La trinité de Kossolapov nous propose un assortiment ridicule du Christ, Lénine et Mickey, s’illustrant comme famille moderne recomposée. Les artistes du sots art se moquent des valeurs.

 

On peut constater deux moments distincts à l’intérieur du mouvement sots art. Le premier débute chez Komar et Melamid en 1972 et s’achève en 1985 avec l’avènement de la perestroïka. A l’origine, le mouvement s’intitulait " Kom Art " ou art communiste, mais le sociologue Vadim Paperny, auteur de la première étude sur le réalisme socialiste stalinien, lui préféra le terme de " Sots Art ". Un manifeste fut rédigé en 1973 à Moscou dans un appartement pour une exposition encore une fois privée. Etaient présents Alexandre Kossolapov, Alexandre Yulikov, Slava Sysoyev entre autre, toujours chez Vitaly Komar et Alexandre Melamid.

On est alors face à des images paradoxales, explosives privant le spectateur de la foi en quelques règles que cela soit. Ces artistes font preuve d’intolérance devant la soumission jugée inacceptable, humiliante car aliénante. Dans Lénine Coca Cola de Kossolapov, il y a bel et bien une discontinuité entre la figure de l’homme politique communiste et la boisson coca-cola symbole fort du capitalisme américain. De plus, placer ce portrait dans le contexte politique de la ville, lieu où se centralise le pouvoir, le commerce et le libéralisme avec ses grattes ciel devient un geste provocateur. Tout ceci suscite le rire, relève de la bouffonnerie et du travestissement.

Les œuvres du sots art ne sont regroupées sous aucun système plastique propre. Toutes les formes d’art sont représentées ; la richesse tenant ici dans la multiplicité des supports (peinture, sculpture, installation, vidéo, photographie, dessin, collage, assemblage). On notera également une différence implicite entre les moyens que se donnent une personne, une institution pour faire adhérer le public auquel s’adresse le message. Ici s’oppose convaincre par la malice, la ruse et l’habileté et persuader par le pouvoir, l’autorité, imposer par la force.

Il s’agit d’un art dissident, s’élevant contre le réalisme socialiste. Il se construit en secret, dans la clandestinité puisqu’il serait jugé comme art voyou donc condamné car c’est en effet un art de l’opposition qui doit affronter l’art de la tutelle. On retiendra que les deux moments distincts du Sots Art correspondent à des enjeux différents. Le contexte historique, politique est bien différent même si les œuvres appartiennent à un même mouvement.

 

Enfin, le second temps de ce mouvement s’étend de 1985 à nos jours pour devenir l’art dans l’air du temps, en vogue, à la mode en somme. En effet, Gorbatchev met en place des réformes, dont la glasnost ou politique de transparence de la vie publique accompagnant le changement d’orientation qu’est la perestroïka de 1985 à 1991, qui fait perdre sa clandestinité au sots art. Sots art incarne alors l’image de marque esthétique de la perestroïka. A la fin des années 80, c’est précisément LE courant de la période des changements qui voit également l’effondrement du communisme.

Les années 90 sont marquées par le passage de la déconstruction des modèles à leur conservation. C’est un art moins critique, qui s’apparente davantage au témoignage portant un regard rétrospectif sur l’histoire. Ce changement de position s’explique par la disparition subite de l’adversaire qui génère par conséquent une attitude de désarroi et de nostalgie. Les artistes sots sont justement sortis de l’illégalité et des interdits des années 1970.

Dans Archéologie de la ville utopique de Vladimir Doubossarsky et Valery Koshliakov, on retrouve les vestiges d’un patrimoine national. C’est une lecture tout à fait autre des précédentes, comme si le peuple devait intégrer le devoir de mémoire. Le sots art devient aussi plus monumental et prend une valeur plus ornementale. Ces artistes peuvent utiliser les signes et codes visuels de manière formelle, rejetant à l’arrière plan leur charge politique et sociale. Est-ce de l’innocence, de la candeur, de la naïveté de la part d’une génération qui n’a connut que les effets postérieurs de l’autoritarisme communiste ? Ainsi est-ce véritablement inoffensif lorsque Sergei Mironenko conçoit un tapis constitué d’une répétition d’insignes des épaulettes militaires du KGB pour motif ? ! Ces épaulettes deviennent des signes, qui, extraits de leur contexte, n’ont valeur que comme éléments formels, niant presque ou du moins omettant le message politique qu’ils révèlent. Est-ce symboliquement nous autoriser à leur marcher dessus ? Mais peut-on tolérer d’afficher cela de manière " neutre " (si cela est possible), de l’exposer dans son salon tandis qu’ils identifient des responsables de mort, de misère ?… Peut-on l’accepter ?

On remarque donc aussi l’évolution culturelle et le détachement lié au temps dans cet usage plus " décoratif " des codes de l’ancien régime, devant le relâchement des pressions idéologiques, alors que les années 70 voyaient fuir et immigrer les artistes soviétiques aux Etats-Unis ou monter des expositions underground. Ainsi semble bien s’opposer un art de l’opposition qui s’effectue en cachette et un autre, en apparence similaire, qui libéré de la censure peut se payer le luxe de se montrer au grand jour. Car si la liberté a été acquise depuis deux siècles avec l’effondrement du régime académique, les régimes totalitaires font quant à eux résistance.

 

Enfin, l’on peut conclure sur ce qui distingue le Pop Art du Sots Art ; ce dernier est un art non conformiste contrairement au pop art. Le premier s’applique à établir le constat selon lequel le pouvoir soumet l’individu, tandis que le second vise en quelque sorte à libérer la conscience des individus. On comprend alors comment l’art peut très rapidement devenir un élément perturbateur de l’ordre que tente d’imposer et de légitimer le système politique en place, car il est capable d’émettre une position, une opinion, une critique. C’est ce que l’on nomme un art engagé. Le rapport entre art et pouvoir peut donc devenir extrêmement dangereux que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Art et politique ont de tout temps toujours été liés, comme en atteste la propagande ; la communication visuelle peut se mettre au service d’un message politique.

Le pop art d’origine américaine mais international présente donc des similarités avec le sots art exclusivement russe mais il est aisé de les différencier car bien qu’ayant une source identique ou le contexte de la culture de masse, Les Etats-Unis assument leur tentation du consumérisme alors que l’Union Soviétique vise davantage la coercition idéologique. Par ailleurs, rappelons-le, le pop art est un art conformiste qui souhaite préserver éternellement des images éphémères tandis que le sots art se fait l’art de la protestation dont le but est d’exposer à tous la fragilité et le déclin de constructions idéologiques. Ce qu’ils ont en commun ce n’est non pas le contexte politique mais l’attitude artistique qui prône une approche régie par aucun programme.

Mais alors, l’autonomie de l’œuvre d’art est-elle réellement envisageable ? Dans un sens, non, puisque même en songeant aux impressionnistes qui ne se préoccupaient pas des événements historiques et n’en faisaient pas des référents, mais l’art se construit toujours en s’appuyant sur un passé même lorsqu’il s’agit de s’y opposer. Révolutionner l’état actuel des choses c’est aussi porter un regard sur l’histoire. Dans ce cas, peut-on lire l’art en dehors de son contexte historique et politique ? Personnellement, je ne le crois pas. Pensons à Barbara Kruger qui renvoie au spectateur son image de consommateur aliéné. A Philippe Pareno qui affiche de plus vouloir de cette réalité : No more reality. A Pierre Huyghes animant la figure de manga d’Ann Lee après l’avoir rachetée aux japonais car selon il s’agissait d’un personnage à la personnalité trop commune, et par suite non rentable. Sans consommation, il y a destruction.

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